Comme partout dans le monde, le développement du sport en Afrique est fortement impacté par l’épidémie de COVID-19. Pourtant, l’ensemble du secteur reste mobilisé pour le bien-être des populations.

Jusqu’à présent, l’Afrique semble relativement épargnée par le COVID-19. Les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recensent 4,6 millions de cas et 123 000 personnes décédées à cause de la maladie sur le continent1. Ce bilan, bien plus faible que celui affiché par l’Europe et les Amériques, doit cependant être nuancé, étant donné l’hétérogénéité de la dynamique de l’épidémie et de l’offre de dépistage au sein des différents pays africains, ou encore le fait que l’enregistrement des décès ne soit pas systématique2.

Si l’ampleur de la pandémie à l’échelle de la région est difficile à évaluer, les effets indirects comme l’insécurité alimentaire, la perte des moyens de subsistance, le manque de fournitures médicales ou le risque de déscolarisation pourraient durablement entraver les progrès réalisés en matière de développement humain3. Cet aspect doit être considéré par les parties prenantes africaines et extérieures dans leur gestion de la crise.

Parmi les stratégies de développement adoptées par l’Afrique, celle misant sur le sport est durement affectée. Sport d’élite, sport amateur, sport au service du développement et de la paix (SDP) : tous les pans du secteur sont touchés. Malgré tout, qu’il s’agisse de contribuer aux mesures d’urgence ou d’adapter leurs activités pour le bien-être de leurs bénéficiaires, les acteurs sportifs restent au cœur des efforts de riposte.

Le COVID-19 bouleverse l’écosystème sportif africain

Le développement de la filière sport en Afrique vise essentiellement à accroître le potentiel du continent en matière de diplomatie sportive, les opportunités financières et les retombées socioéconomiques. La pandémie a entravé pour un temps ces perspectives. L’ajournement de nombreuses compétitions sportives internationales, dont certaines inédites sur le sol africain, reste pour l’instant équivoque. Après deux reports, le Rwanda accueille en ce moment et jusqu’au 31 mai 2021 la saison inaugurale de la Basketball Africa League, avant d’être le théâtre du tournoi Afrobasket 2021 du 24 août au 5 septembre 2021, deux événements notoires permettant de positionner Kigali en hub sportif de référence dans la région est-africaine.

Les Jeux Olympiques de la Jeunesse de Dakar 2022 (JOJ) sont désormais prévus pour 2026. Grand enjeu pour le Sénégal, ce report pourrait être bénéfique en permettant au pays de poursuivre les préparatifs dans de meilleures conditions et d’éviter l’agenda sportif international surchargé se profilant pour 2022. En effet, aux rendez-vous sportifs majeurs programmés en 2022 comme les Jeux Olympiques d’hiver, les Jeux du Commonwealth et la Coupe du monde de football, s’ajoutent dorénavant les Championnats du monde d’athlétisme, la Coupe d’Afrique des nations et les Jeux de la Francophonie qui se dérouleront à Kinshasa. Cet « embouteillage » pourrait potentiellement affecter le rayonnement international de l’Afrique, en matière de couverture médiatique comme de disponibilité pour les athlètes.

Le report des compétitions, l’arrêt des championnats et des rencontres qualificatives au printemps 2020 ont également impacté les fédérations, les clubs et les athlètes. La perte des recettes de billetterie pour les grandes infrastructures, le manque ou la perte de sponsors et la réquisition des subventions pour la lutte contre le coronavirus, ont mis en péril la santé financière déjà fragile des structures sportives. Par ailleurs, la suspension des entrainements a altéré la préparation physique et mentale des athlètes et cela pourrait avoir des conséquences sur leurs performances futures. Enfin, de nombreux sportifs de haut niveau ont brutalement perdu leurs rémunérations. Au chômage technique, sans salaire dans des pays où la protection sociale est souvent peu présente, nombre de footballeurs privés de championnats ont dû envisager une reconversion professionnelle pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Pour d’autres athlètes ne disposant pas de contrat annuel, le report de grandes manifestations sportives comme les Jeux Olympiques de Tokyo représente une perte conséquente, en repoussant, dans le meilleur des cas, les revenus escomptés des médailles et des primes de participation.

L’interruption du sport amateur : un manque à gagner pour le développement humain

La crise sanitaire et les mesures prises par les gouvernements africains bouleversent également le sport amateur. Les confinements totaux ou partiels, les couvre-feux, les interdictions de rassemblements publics et privés ont affecté la pratique sportive de loisir, individuelle et collective, avec un impact non indéniable sur la santé physique et mentale, même si ce dernier reste difficilement mesurable. 

D’autre part, la fermeture prolongée des établissements scolaires combinée aux difficultés économiques généralisées pourrait compromettre les aspirations et bloquer les perspectives de plus de 330 millions d’apprenants en Afrique subsaharienne4. Parmi les enseignements relatifs à l’éducation formelle, l’acquisition par le mouvement de toute une gamme d’aptitudes et de compréhensions allant au-delà de l’activité physique (p.ex. la coopération avec autrui) réalisée dans le cadre de l’Education Physique (EP) a, de fait, été interrompue. Idem pour le sport scolaire qui contribue à la démocratisation de la pratique sportive et à ce que les jeunes puissent bénéficier des bienfaits sociaux et sanitaires inhérents au sport.  

La crise sanitaire impacte également le sport au service du développement et de la paix (SDP). D’après le Rapport 2020 sur l’état du secteur publié par Oaks Consultancy en janvier 2021, 52,9 % des organisations africaines interrogées prévoyaient une réduction de leurs revenus pour 2020/2021, par rapport à 2019. Cette même enquête souligne que 41,2 % des organisations sondées en Afrique ont pu obtenir des subventions pour contrer les effets du COVID-19. Néanmoins, ces résultats ne tiennent pas compte du montant des financements ni ne reflètent la gravité relative des besoins des bénéficiaires et plusieurs organisations SDP restent pessimistes quant à leur futur. Vince Mehers, fondateur de l’association sud-africaine World Parks World Cup (WPWC) et son équipe en témoignent : « Nos défis historiques en matière de collecte de fonds vont probablement continuer à nous gêner à l’avenir. Cette situation sera aggravée par le fait que nous n’avons pu agir sur le terrain cette année, et que nous ne disposons donc pas de preuves de notre impact et de notre programme ».

WPWC utilise le sport pour rapprocher les communautés rurales de la zone transfrontalière du Grand Limpopo (Afrique du Sud, Mozambique, Zimbabwe) « présentant des taux élevés d’abandon scolaire, pas d’installations ou d’activités sportives formelles et peu d’opportunités pour les filles de progresser dans l’éducation et dans la vie ». Via un « programme de jeu utile » basé sur le football, l’organisation, qui travaille essentiellement en milieu scolaire, interroge les stéréotypes de genre, encourage la pensée critique et les compétences en matière de résolution de problèmes, engage les jeunes vis-à-vis de la préservation de l’environnement et dans l’action communautaire.

En Afrique, de nombreuses structures œuvrent à travers le sport en faveur des plus vulnérables. Au-delà de l’aspect purement sanitaire, le continent pourrait être durement touché par les conséquences sociales et économiques de la pandémie. En termes de développement humain, cela se traduirait par une réduction des progrès réalisés en matière de santé, d’éducation, d’égalité des sexes, de consolidation de la paix et par un risque accru d’agitation sociale. Autant de problématiques où le sport, en tant qu’outil transversal et universel, peut jouer un rôle prépondérant.

Les acteurs sportifs au cœur des efforts de riposte

Les athlètes africains de haut niveau se sont mobilisés dès le début de la pandémie de COVID-19. Ainsi, Didier Drogba a entamé une campagne de sensibilisation et débloqué 650 millions de FCFA pour soutenir l’État ivoirien dans la lutte contre la propagation du coronavirus. L’ancien footballeur international ivoirien met également l’hôpital Laurent Pokou de sa fondation caritative à la disposition des autorités. A travers la campagne « Stop COVID-19 », l’ancien international de football camerounais Samuel Eto’o organise des actions de sensibilisation en faveur d’un lavage régulier des mains et distribue des kits sanitaires et alimentaires aux populations vulnérables de plusieurs villes du Cameroun.

Géraldine Robert, ex-basketteuse professionnelle franco-gabonaise et Sport Impact Leader, a effectué une remise de dons en vivres et produits sanitaires à l’orphelinat « La Maison de L’espérance ». La fondatrice de  , qui utilise le basketball comme outil d’éducation pour la jeunesse gabonaise, a également participé à la sensibilisation des enfants aux mesures et comportements à adopter durant la pandémie. Par ailleurs, les joueurs de l’équipe nationale de football sénégalaise ont répondu à l’appel du Président Macky Sall et contribué à la constitution d’un fonds d’urgence de 1 000 milliards de FCFA.

Au-delà des soutiens liés à l’urgence sanitaire, d’autres acteurs ont considéré le potentiel du sport dans la lutte contre le coronavirus et ses répercussions sociales. Ainsi, l’Agence française de développement, en partenariat avec la FIFA – qui a déjà débloqué un fonds d’aide de 1,5 milliards de dollars pour ses fédérations5 – a lancé en juillet 2020 l’appel à projets « Sport & Santé ». 14 projets africains promouvant la bonne santé et le bien-être à travers le football, le multisports, le basketball, le rugby, la boxe ou la lutte, se sont partagés une enveloppe de 435 000 €, soit un financement moyen de 31 000 € par projet.

Pour ceux qui utilisent le sport comme vecteur de changement social, les défis liés à la crise sanitaire sont multiples. Ils doivent à la fois s’adapter aux mesures d’urgence, trouver un moyen de réaffecter les budgets et innover pour ne pas abandonner leurs bénéficiaires. Ainsi, dans un article publié sur la plateforme sportanddev, Steve Fleming, le co-fondateur de Kick4Life, précise que l’organisation a perdu du jour au lendemain 25 % de ses revenus réguliers, en raison de l’arrêt immédiat des programmes et de la fermeture de ses entreprises sociales. Face à l’interruption des services planifiés, ce club de football visant à transformer la vie des jeunes vulnérables au Lesotho, craignait également une cessation de paiement de la part des bailleurs de fonds. Durant l’été 2020, Kick4Life, en partenariat avec Common Goal, streetfootballworld, le Sport for Good Response Fund dirigé par la Laureus Sport for Good Foundation et Beyond Sport, a créé un outil RAFT (Response Analysis and Further Testing) pour aider 14 organisations SDP dans le monde à passer d’un « mode survie » à une durabilité financière diversifiée et solide.

Autre exemple d’innovation, TIBU Maroc a adapté sa programmation pour répondre aux besoins de ses communautés. L’ONG a produit la capsule « Sa7ti Friyadti », un programme à distance d’éducation par le sport proposant des activités variées et adaptées au développement moteur et cognitif des enfants. TIBU Maroc a également lancé une version digitalisée de l’initiative Intilaqa, un programme d’insertion par le sport favorisant l’employabilité des jeunes des quartiers de Casablanca en situation de NEET6.

La pandémie de COVID-19 bouscule le sport africain dans son ensemble et a des répercussions importantes sur le secteur comme sur les individus. Pourtant, force est de constater que les athlètes, les structures sportives et les organisations SDP sont au rendez-vous et se mobilisent pour contrer tant l’épidémie que ses effets sociétaux. Les Nations Unies, qui reconnaissent le rôle positif du sport dans la vie des gens et le renforcement du processus de résilience, ont d’ailleurs réitéré leur appel pour l’équité en matière de vaccins à travers la campagne #OnlyTogether, lors de la Journée internationale du sport au service du développement et de la paix 2021. Grâce à leur hétérogénéité, la diversité de leur capacité d’action et leur portée internationale, les parties prenantes du sport ont donc, plus que jamais, le pouvoir de contribuer au bien-être des populations.

 

1ONU Info. (2021, mai 6). Vaccins contre la Covid-19 dans le monde : la part de l’Afrique ne dépasse pas 1%, déplore l’OMS. https://news.un.org/fr/story/2021/05/1095522

2The New York Times. (2021, Janvier 4). En Afrique, il est souvent difficile de compter les morts.https://www.nytimes.com/fr/2021/01/04/world/africa/afrique-covid-deces-nigeria.html

3Nations Unies. (2020, mai 20). Note de synthèse : Les incidences de la COVID-19 en Afrique.

https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/les_incidences_de_la_covid-19_en_afrique.pdf

4Nations Unies. (2020, mai 20). Note de synthèse : Les incidences de la COVID-19 en Afrique.

https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/les_incidences_de_la_covid-19_en_afrique.pdf

5FIFA. (2020, juin 25). Le Conseil de la FIFA approuve à l’unanimité un plan d’aide contre le Covid-19.

https://fr.fifa.com/who-we-are/news/le-conseil-de-la-fifa-approuve-a-l-unanimite-un-plan-d-aide-contre-le-covid-19

6L’acronyme NEET, de l’anglais “not in employment, education or training”, désigne les personnes les personnes non scolarisées, sans emploi ni formation.